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Sada, côte occidentale de Mayotte – Août 2012 – Bastien D.

Archipel des Comores. Premiers jours de juillet.
Soirée festive et amicale dans un quartier du village de Sada. La fin de l’année s’annonce.
Mets et boissons, poèmes et chansons.

Un instant remarqué. Une pensée pour l’être aimé.

Mauve, la solitude des amants de Fatou Diome

Rouge, comme la poudreuse d’un désert nubien. Rouges, les braises roulent, tout se consume, tout s’élague, c’est Cupidon qui étend son champ. Rouge, le champ ardent, ardent d’amour. Rouge, une passion dévorante dans le désert. Rouge ! Ils y étaient, seuls, puisqu’ils ne voulaient brûler qu’eux-mêmes. Les pieds palpitants de désir, un couple menait sa double errance : sur cette lointaine terre paprika et sur le continent défendu de leurs sentiments hors jeu. Pourquoi s’aimaient-ils ? Pourquoi s’aime-t-on ?

Ils ne le savaient pas, ne se le demandaient pas. Dans le désert, un caillou se demande-t-il pourquoi celui d’à côté, foulé par un pied hasardeux, vient le faire dégringoler ? Et les trous creusés par les pas, se demandent-ils pourquoi les gouttes de pluie viennent se transformer en leur sein en diamants pourpres, vite dissous dans les fissures de la terre ? Ils s’aimaient, c’est tout. Loin du monde, loin de la raison, les amants marchaient, main dans la main, soulevant la poussière pourpre, ignorant qu’ils modifiaient l’agencement des monticules passifs, sur une terre qui n’agit que pour digérer les quelques téméraires abandonnés là par la vie. Le désert se laissait caresser par un vent chaud, mais nettement moins chaud que le souffle de désir qui déshydratait les amants. Ils s’embrassaient. Pour qui, pourquoi se retenir ? Ils s’embrassaient, comme pour se convaincre mutuellement de n’avoir jamais embrasser personne d’autre auparavant. Personne d’autre, avec autant de fougue, autant de désir de recommencer. Et chacun semblait creuser sa dernière demeure dans le regard de l’autre. Ce continent qu’ils découvraient ensemble n’existait que pour bercer leurs nuits interdites. Perdus là, nulle part, loin de l’oeil social qui, là-bas, les gouvernait, ils n’avaient point peur des braises, c’était quand ils ne se brûlaient plus qu’ils avaient mal : au retour, quand, séparés, ils pensaient l’un à l’autre, en attendant la prochaine escapade. A regret, monsieur regagnait son foyer, où, refroidi par les années, son amour de jeunesse moisissait sous les habitudes. Mademoiselle, seule dans son appartement vide, se projetait dans un avenir improbable : une petite maison, pas loin de la mer, un mari qui lit le journal du dimanche, un fiston qui fait ses premiers pas en souriant à la vie. Oscillant entre le bleu rêvé d’une famille idéale et le rouge vif de leur passion dévorante, ils allaient faire pousser dans le désert les fleurs qu’ils ne plantaient plus chez eux.

Les voilà qui s’enlacent, qui tourbillonnent, agités par le même frisson, auréolés par une flamme d’amour mauve. Car, dans l’étreinte rouge de leur désir irréversible sommeille la peur bleue de la perte, la perte de l’autre, après s’être perdu en lui. Joyeusement, ils souffrent, s’étreignent, se cajolent, s’étouffent de baisers pour ne pas pleurer. Belles, intenses, inoubliables les retrouvailles des amants ne sont que des prémices de déchirures. Suaves, leurs baisers volés ; amères, leurs larmes d’amour. Au départ, la voix teintée de mélancolie, leurs regards d’adieu sont mauves. Ils partent vers un autre désert, car les amants du désert ont un désert encore plus grand : celui qui les attend chez eux. Dans la frustration de l’attente, le feu de la passion veille, rouge, sous le froid bleu de l’absence.

Mauve, la solitude des amants.

Fatou Diome dans Mauve, Flammarion, Paris, 2010.
Textes de Fatou Diome. Dessins et photographies de Titouan Lamazou.

Article publié par Bastien D.